Christophe Fiat : « Pagnol, c’est du Shakespeare à Marseille »

Dans son livre l’Epopée virile de Marcel Pagnol, Christophe Fiat raconte l’aventure cinématographique du célèbre marseillais hors de nos frontières. 

Tant de choses ont été dites sur Marcel Pagnol. Sous quel angle avez-vous travaillé votre livre ? 
Christophe Fiat : Deux choses ont retenu mon attention. D’abord, le fait qu’il ait parié dans les années trente sur le cinéma parlant (contre le cinéma muet). Tous ses films et ses romans donnent beaucoup d’importance à l’écoute. Ensuite, l’idée de virilité. C’est une idée passée sous silence aujourd’hui, une idée souvent refoulée… Une des réponses que je propose dans ce livre, c’est que la virilité est synonyme de détermination, d’esprit aventureux, mais aussi d’une grande tension dans l’existence qui fait qu’on arrive d’une manière ou d’une autre à atteindre les buts que l’on s’est fixé, malgré les échecs. Je pense ici surtout à l’échec de Marcel Pagnol concernant le cinéma couleur dans la Belle Meunière…

Il peut paraître étonnant pour les plus jeunes générations que Marcel Pagnol ait eu une réputation bien en dehors de nos frontières. Comment s’est-elle construite ?
C.F. : Le rayonnement international de Marcel Pagnol s’est construit simplement. Dans les années trente, il se met à travailler avec une succursale de la Paramount à Paris qui produit Marius (réalisé par Alexandre Korda sur un scénario de Pagnol, inspiré de sa pièce éponyme). Premier succès commercial d’un film sonore, il s’agit d’un succès international. Par la suite, Pagnol tentera à sa manière de concurrencer les américains en créant un « Hollywood Provençal ». Aujourd’hui, son œuvre continue de rayonner au Japon, aux USA et en Allemagne, mais hélas, en France, il est considéré comme un réalisateur de films « vus à la télé » et on ne le prend guère au sérieux, à cause sans doute de ce cliché qui lui colle à la peau, « la pagnolade », dont je parle dans mon livre. J’explique que la pagnolade, c’est du sérieux, que faire rire au cinéma, c’est du sérieux.

Que reste-t-il de l’oeuvre de Marcel Pagnol aujourd’hui ?
C.F. : En France, Marcel Pagnol écrivain est étudié dans les écoles et les collèges, ces films sont considérés comme des blagues ou au mieux, ils ont inspiré le néo-réalisme italien. Quant à son théâtre, on le réduit souvent à du Vaudeville… Tout ceci est réducteur… Pagnol en réalité est un écrivain tragique. Par exemple dans Jean de Florette, mais aussi si l’on lit précisément un ouvrage comme le Château de ma mère : on découvre toute une esthétique de l’horreur… Concernant son théâtre, il faut le lire ou le jouer en sachant que le grand modèle de Pagnol n’est pas Feydeau ou Labiche mais Shakespeare… Voilà, Pagnol c’est du Shakespeare à Marseille…

Comment vous vient l’idée de l’Epopée virile de Marcel Pagnol ?
C.F. : Cette idée m’est venue en 2013 alors que j’étais auteur invité dans le cadre de la manifestation « Marseille, ville européenne de la culture ». Je voulais travailler sur un sujet proche de cette ville et le choix de Marcel Pagnol s’est imposé lors d’un déjeuner avec Sandrina Martins. De plus, Pagnol était pour moi une figure mineure, sous estimée, sorte de vilain petit canard de la culture française chic. Il y a eu plusieurs étapes de travail avant l’écriture de ce livre. Une performance créée au Château de la Buzine (le Château de ma mère, c’est lui) dans le cadre du Festival Actoral 13 et une fiction enregistrée à Théâtre ouvert et réalisé par Blandine Masson pour France Culture : « Spirit of Marcel Pagnol » avec comme acteur Stanislas Nordey.

Sur quelle base de travail vous-êtes vous appuyé pour retracer son histoire ?
C.F. : Pour écrire l’Epopée virile de Marcel Pagnol, j’ai lu toute son oeuvre littéraire. Puis j’ai revu ses films en DVD mais aussi, j’ai lu des biographies… A partir de ces matériaux, j’ai fais des prélèvements, des emprunts que j’ai agencés, organisés, intensifiés et parfois même exagérés afin de constituer cette épopée pour faire apparaître Marcel Pagnol comme un héros culturel.

Avant cela, vous avez travaillé sur de nombreux projets culturels…
C.F. : Mon travail sur Pagnol est l’aboutissement d’un long parcours commencé en 2000, avec un premier livre, Ladies in the dark (Al Dante 2001) où apparaît une première icône du cinéma, Louis Brooks… Puis il y a eu un livre consacré à Batman et un autre à Stephen King et, récemment, en 2011, le Retour d’Iwaki  (Gallimard) où je rencontre… Godzilla ! Donc, Pagnol suit un fil rouge qui est le cinéma… Non pas seulement le cinéma comme divertissement, mais aussi le cinéma comme propagande, comme machine industrielle capable de rentrer dans les cervelles de millions de personnes… Ecrire sur le cinéma, écrire sur des figures du cinéma, ce n’est pas pour moi partager ma fascination avec mes lecteurs, mais plutôt questionner notre croyance aux stars et aux vedettes. Pourquoi le cinéma nous fait rêver ? J’ai trouvé un début de réponse dans l’épopée, histoire collective qui charrie toutes sortes de valeurs dont le courage… Langue de l’énergie, langue simple et tendue que j’utilise aussi sur scène dans des créations théâtrales comme je l’ai fait au Festival d’Avignon en 2007 avec La jeune fille à la bombe, en 2011 avec L’indestructible Madame Richard Wagner quand j’étais auteur associé du Théâtre de Gennevilliers, et aussi dans des créations radiophoniques diffusées sur France Culture.

Propos recueillis par Jérémy Attali

 

Marcel_Pagnol (1)L’Epopée virile de Marcel Pagnol, de Christophe Fiat

Aux éditions Naïve Livres

L’épopée virile de Marcel Pagnol est le récit documenté, passionné et comique d’une aventure extraordinaire. Ecrivain, dramaturge et cinéaste, pionnier du cinéma parlant, admiré aussi bien par les néoréalistes italiens que par Steven Spielberg, il a donné à la Provence et à la ville de Marseille en particulier, une partie de son aura. Dans ce récit vif et elliptique, on découvre un Pagnol méconnu, très éloigné du pittoresque facile auquel ses œuvres et lui dont parfois réduits. De sa découverte du parlant dans un cinéma de Londres en 1929, à la diffusion de Manon des sources à la télévision quarante ans plus tard, de son adolescence de boxeur à sa vie rangée, tout Pagnol est là, à travers les mille détails qui composent, une fois assemblés, sa légende.

 

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