Guillaume Meurice : « Je fais du raisonnement par l’absurde »

Entretien avec celui qui se joue de l’actualité avec malice et acidité autour des médias, de la politique, de la citoyenneté ou du syndicalisme. 

Humoriste sur scène avec son spectacle “Que demande le peuple”, chroniqueur sur France Inter dans l’émission “Si tu écoutes j’annule tout”, Guillaume Meurice détient même selon ses dires “le meilleur 174ème rôle” pour sa participation, en 2008, à un film d’Isabelle Mergault. Il est aussi né en 1981, date fétiche pour bien des adorateurs (déçus?) de la gauche. 

Guillaume, étais-tu présent lors des dernières manifestations contre la loi El-Khomri ?
Guillaume Meurice : Hé bien non ! Et d’ailleurs, on me chambre un peu avec ça au bureau. « Toi, de gauche, tu n’es pas dans la rue pour manifester » ? En fait, je considère qu’en faisant ma petite chronique, qui d’ailleurs soutenait les grévistes, j’apporte ma pierre au mouvement. Je ne sais pas si j’ai raison, mais c’était ma manière de participer. J’ai d’ailleurs donné mon cachet au pot commun de solidarité pour les grévistes. Je considère ça comme normal.

Pour tes émissions tu vas également à la rencontre de politiques. Es-tu toujours bien reçu ?
G.M. : La plupart du temps, oui bien sûr. Ce qui est drôle avec les politiques c’est leur propension à utiliser des éléments de langage. Je trouve ça marrant de se jouer de la communication, des phrases toutes préparées qu’ils répètent tout au long de la journée. Ce sont des gens qui ont l’habitude d’être dans un jeu médiatique qui consiste à ce que le journaliste leur tende le micro, qu’eux répondent et c’est tout. Ils ne sont pas habitués à ce que le journaliste le contredise ou apporte des preuves de contradiction. Je prends souvent l’exemple d’une pièce de théâtre où chacun a son rôle, alors que moi j’arrive en improvisant du texte. Donc c’est assez jouissif d’observer leurs réactions.

France Inter te laisse la liberté de faire les chroniques qui te plaisent ?
G.M. : Oui, mes textes ne sont jamais relus avant. Seul le réalisateur de l’émission a écouté ce que je vais diffuser, j’ai vraiment une liberté totale. C’est d’ailleurs ma seule garantie, et quand je ne l’aurai plus je partirai.

Tu es humoriste, chroniqueur, mais aussi un citoyen engagé. Sur ton site tu renvoi vers l’inscription aux listes électorales.
G.M. : Oui, je ne supporte pas l’abstentionnisme. Cela ne me vaut pas que des amis mais c’est ainsi. J’avais fais une chronique sur l’abstention aux régionales. Il y avait quinze listes, si sur quinze listes tu ne trouves rien que tu cautionnes un minimum… Après, on a les politiques qu’on mérite, je le crois vraiment. La France penche vraiment à droite. Et on dit que l’Europe nous gouverne, pourtant, on ne va plus voter aux européennes, alors de quoi se plaint-on ? Je te garantie que si Jean-Luc Mélenchon ou Pierre Laurent faisaient 95% aux européennes, ça ne serait pas la même Europe.

Parlons un peu de ton travail au quotidien. Produire une chronique par jour, c’est évident ?       
G.M. : J’ai du mal à me plaindre de ça car je suis payé pour faire des blagues. Paradoxalement, le fait de produire chaque jour me convient mieux, plutôt qu’une fois par semaine. J’ai moins la pression de me dire que si je me plante sur une chronique, on en parlera pendant plusieurs jours. Là, je peux me rattraper assez vite. Et puis une dynamique se crée, je n’ai pas le choix, pas le temps de trop réfléchir, je dois trouver un sujet… C’est donc relativement pas très compliqué.

As-tu déjà loupé des chroniques ?
G.M. : Il y a des chroniques que je n’aime pas oui. L’an dernier j’étais avec les taxis pour un sujet et, je pense les avoir fait passer pour des cons alors que ce n’était pas du tout mon idée de départ. Je pense l’avoir un peu raté. Même si je me réécoute assez peu, je suis assez critique envers moi même et, tu sais, pour moi aucune chronique n’est réussie car une fois au montage je me demande souvent pourquoi je n’ai pas posé telle ou telle question… Au bout d’un moment il faut se dire que c’est normal, qu’il faut avancer, et donc progresser.

Ton but n’est jamais de piéger les gens mais de retirer quelque chose d’une discussion.
G.M. : Je fais du raisonnement par l’absurde, et mon but est de révéler les petites contradictions qu’on a tous en nous. Je suis dans ce jeu, dans ces faux-semblants. Cela peut être un micro-trottoir où tu t’aperçois que les gens ne font que répéter que ce qu’ils ont entendu dans les médias sans s’y intéresser vraiment. J’aime assez les interpeller, leur dire que ce n’est pas forcément exact, observer leurs réactions. Moi je ne suis pas un journaliste. Je peux me permettre de garder ce qui m’arrange mais pas pour tricher, simplement pour pousser un raisonnement jusqu’au bout.

On dit souvent que l’humour d’aujourd’hui est un peu formaté. Peut-on encore faire rire comme Coluche ou Desproges ?
G.M. : Bien sûr, ce n’est pas qu’on ne peut plus, c’est qu’on ne le fait plus. J’ai été voir il y a quelques années au théâtre du Rond-Point une conférence de rédaction de Charlie Hebdo, à l’époque où Cavanna était encore là. Il avait dit quelque chose qui m’est resté : de faire ce que l’on veut, dire ce que l’on veut dire, au lieu de se plaindre du manque d’humoristes qui transgressent. Coluche s’est fait virer de plusieurs radios donc, je pense que la « crainte » de franchir une ligne rouge a toujours existé. Chez mes collègues humoristes, je ne sais pas si peu osent se lancer dans l’humour acide mais, je sais aussi que c’est une prise de risque, que c’est clivant quand on débute. Peut-être que pour être grand public, il faut moins exprimer ses opinions. Structurellement cela n’encourage pas les comiques à tout dire. En tout cas oui, j’aime énormément lire Desproges car ses sketchs sont de vraies constructions et je trouve que cela ne se démode pas du tout.

Que penses tu du mouvement citoyen Nuit Debout ?
G.M. : En un mot ? Super. Je trouvais ça d’autant plus super que je détestais les gens qui n’aimaient pas (Rires). Le fait de sortir et de se réunir, c’est déjà énorme à l’heure actuelle ! On se plaint sans arrêt que tout se passe sur internet, que les jeunes ne se mobilisent plus. La preuve que non. Il aurait fallu trouver un moyen d’inclure les mecs de banlieue. Après malheureusement, les mecs de banlieue ne se sentent de toute façon pas inclus dans notre société en général. La banlieue c’est galère, sortir de la banlieue c’est galère. C’est un vrai ghetto.

Tu n’as jamais fait de chronique sur Nuit Debout.
G.M. : J’y suis allé en tant que citoyen, j’ai été pas mal reconnu. On m’a dit que j’allais leur pourrir la gueule en faisant un sujet sur eux mais, non, je n’ai rien fait bien que j’y ai vu des choses très drôles. Mais il y avait aussi des débats passionnants. Je vais te dire, j’ai cinq minutes d’antenne chaque jour sur France Inter, est-ce que j’ai envie de les utiliser pour me moquer d’un mouvement que j’aime bien ? La réponse est non. Du coup j’ai plutôt fait une chronique sur les anti Nuit Debout.

Comment analyses-tu le lien entre médias et politiques ?
G.M. : Je te dirais que la frontière est mouvante, ils se connaissent tous avec les « grands » journalistes car ils sortent des mêmes écoles. Il y a un jeu qui est un peu biaisé à l’avance. Attention, ce n’est pas « écrit » à l’avance mais, tout le monde a un intérêt à ce que ça ne se passe pas trop mal pour l’un et pour l’autre. Finalement si tu as lu La société du spectacle de Guy Debord, tout est dit dedans. Tout est du théâtre et dans cette pièce, la CGT a d’ailleurs son rôle, celui des méchants grévistes qui prennent les gentils travailleurs en otage, celle d’une « gauche à l’ancienne ». Aujourd’hui les politiques peuvent utiliser un dialecte pour décrédibiliser la CGT en se proclamant réformistes, modernes, sous entendu en opposition au syndicalisme. Ou à moi par la même occasion, car je suis assez sympathisant des actions militantes.

Tu te sens proche de la CGT et de ses analyses ?
G.M. : Sympathisant. J’ai un immense respect pour les gens qui luttent non seulement pour eux mais aussi pour les autres. Il faut se souvenir que ceux qui font grève perdent des journées de salaires et ne le font pas pour le plaisir, ce n’est pas assez dit. Après oui il y a un folklore de tout ça, mais rappelons la base. Les grévistes sont des gens qui bossent, ils ne sont pas actionnaires de Sanofi ou Vivendi et ils perdent de l’argent pour des causes, pour leurs droits, pour des avancées sociales. Ce serait bien que la majorité des reportages commencent en le rappelant. Je n’aime pas le mépris de classe qui existe envers les gens qui se battent.

En tant que sympathisant, tu proposerais quoi pour que le mouvement syndical s’élargisse encore ?
G.M. : Pourquoi ne pas plus utiliser l’humour ? Dans les manifs, sur les affiches… Evidemment que la lutte est quelque chose de sérieux, mais on a une image du syndicalisme, justement, hyper-sérieuse. L’humour est un moyen de déconstruire une idée à laquelle on s’oppose, c’est assez immédiat est très efficace. Les médias se déplacent souvent pour une image de casse, alors s’il y avait quelque chose de très drôle ils le filmeraient aussi et ce serait diffusé. C’est des choses qui marquent et cela instaurerait une sorte de jeu médiatique. Je sais, je prêche un peu pour ma paroisse là (Rires).

En plus de ton spectacle que tu joues partout en France, comment vois-tu ton avenir dans les médias ?
G.M. : Je suis dragué par toutes les télés car nous sommes en année présidentielle et que notre émission sur France Inter marche bien. Pour l’instant je dois dire que cela ne m’intéresse pas trop car je n’ai pas envie que l’on me donne de cadre trop précis. Actuellement j’ai des propositions plus intéressantes sur internet que je vais peut-être accepter. Après, cela dépendra du temps que j’ai car j’écris déjà énormément.

Te sens-tu capable d’animer une émission de radio ou de télé ?
G.M. : Cela ne me tente pas vraiment, je préfère le rôle du mec au fond de la classe qui lance des boulettes de papier. Celui de prof m’intéresse un peu moins. On ne me l’a jamais proposé mais, là comme ça je te dirais non. Pourquoi, il y a une place à prendre sur la web-radio de la CGT ? (Rires)

Propos recueillis par Jérémy Attali
Crédits photos : Christophe Abramowitz et Radio France

 

G.Meurice,micro

Où retrouver Guillaume Meurice…
A la radio
Du lundi au vendredi à 17h30, dans l’émission “Si tu écoutes, j’annule tout”, sur France Inter
Sur scène
Du 7 au 30 juillet au festival d’Avignon, théâtre du Cabestan
Les 4, 11 et 25 octobre au Café de la gare à Paris
Sur son site internet
www.guillaumemeurice.fr

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