Edwy Plenel : « Un journal doit être une université populaire »
Edwy Plenel, fondateur de Médiapart, appelle a toujours plus de démocratie et fustige une crise de représentation.
Edwy Plenel, fondateur de Médiapart, appelle a toujours plus de démocratie et fustige une crise de représentation.
Nous vivons une campagne présidentielle marquée par de violentes attaques envers la presse. De quoi est-ce le symptôme ?
Edwy Plenel : Mediapart comme d’autres sont la cible d’attaques de la droite et de l’extrême droite. Pour parler clair, ces attaques envers la presse, les médias et journalisme existent aussi à gauche. C’est une très mauvaise pédagogie de leur part et je m’en explique. La critique des médias est totalement légitime. Nous sommes à l’ère du journalisme participatif et les lecteurs peuvent critiquer un journal comme Médiapart. Ils ne s’en privent pas, nous n’avons pas le dernier mot et c’est très bien ainsi. Mais jeter le bébé avec l’eau du bain est profondément anti-démocratique car on oublie que la démocratie est un écosystème et une culture. Notre pays connaît un système démocratique de très basse intensité. La démocratie ce n’est pas le droit de vote : je peux voter pour mon pire ennemi et mon pire malheur si je suis soumis à la propagande, à l’idéologie, au mensonge. A monsieur Trump qui dit que ce qui est faux est vrai, qu’il y a des faits alternatifs. Non, une démocratie vivante est une démocratie dans laquelle pour que je vote il faut que je sache. Et pour savoir, il faut qu’il y ait des médias indépendants, un pluralisme de l’information. Il faut qu’il y ait le droit d’interpellation de ceux qui veulent mon vote. Alors oui, je fais partie de ceux qui sont choqués par cette parodie, cette mise en scène du premier tour dans un grand débat télévisé. Rendez-vous compte qu’il n’a pas été dit que monsieur Fillon est mis en examen pour détournement de fonds publics. Ni que Marine Le Pen (qui se targue de défendre l’ordre et l’impunité zéro pour la petite délinquance) refuse par deux fois de se présenter au juge qui doit la mettre en examen également pour un usage frauduleux de fonds publics. Qu’est ce qui est supprimé là ? Le journalisme. Les questions qui fâchent, les questions pertinentes. Les faits.
Est-ce que la faute ne revient pas à la presse et au monde médiatique en général?
E. P. : La presse doit être un contre-pouvoir dans toute sa diversité. Bien sûr qu’il y a un journalisme insupportable, bien sûr qu’il y a parfois des journalistes trop liés au pouvoir. Mais identifier par exemple les journalistes qui travaillent pour TF1 ou Le Figaro, et donc leur propriétaire, et en faire une généralité… C’est comme dire que si tu travailles dans le nucléaire, tu es un salaud de pollueur ? Nous avons fait Médiapart pour dire à tout le monde d’être courageux et de se battre. Nous avons dit qu’il faut de l’investigation, Cash Investigation et Envoyé Spécial s’y mettent. Il existe un combat. Je défends cette idée tout en étant très inquiet. Il nous faut être rassemblés sur ces enjeux. L’idéal démocratique originel dit que la république est démocratique et sociale, que la république doit porter la question sociale. Aujourd’hui, c’est ça que nous devrions porter avec force comme un idéal conquérant et rassembleur. Hélas, on prend pour moi trop de précautions. Et loin de nous armer, cela nous désarme.
Une grande partie des citoyens n’a clairement plus confiance en la presse…
E. P. : La crise de confiance dans l’information est la crise de la représentation. La représentation c’est deux choses. Celle des élus et leur absence de morale publique. On retrouve là la question de la politique professionnelle, des mandats à vie, des gens qui n’ont jamais travaillé. Vient ensuite la crise de la représentation médiatique. Comment le monde médiatique montre la politique, comment lui-même est éloigné du peuple dans sa composition, dans son manque de diversité. Nous sommes le seul média à organiser des soirées autour de sujets comme les quartiers populaires, les mouvements sociaux, nous montrons la réalité du pays, son intelligence collective et prenons le temps de la faire s’exprimer. Loin de toutes les caricatures et de tous les simplismes. Cette crise renvoie donc pour moi à une crise de la culture démocratique française.

Un des autres grands ennemis de la presse est le nouveau président des Etats-Unis…
E. P. : Il y a effectivement cet accident Trump. Il a été élu par la démobilisation des démocrates, par un fort niveau d’abstention. C’est un président dangereux, menteur, sexiste, misogyne, homophobe, raciste… Et cet homme est à la tête de la première puissance mondiale, militaire… L’enjeu qui est devant nous est pour moi le suivant : le système démocratique américain arrivera-t-il à empêcher cet homme d’aller au bout de ses idées ? Est-ce que le dynamisme d’une partie de la presse et leurs révélations empêcheront cela ? Est ce que le jeu du parlement y arrivera ? Pourra-t-on compter sur l’autonomie des acteurs de l’administration, des renseignements, de la justice ? Je dis cela car j’ai la certitude que s’il arrive un même accident en France, j’ai peur que rien de tout cela ne se passe. Car nous sommes dans une absence totale de culture démocratique. Pour moi qui suis du côté de l’émancipation et suis un électeur de gauche, ce système qui nous oblige au choix d’un seul par rapport à une dynamique collective me désespère.
Il n’y aurait donc aucun moyen d’éviter le pire ?
E. P. : Il faut se dire que nous devons tous et dans toute notre diversité faire en sorte d’éviter le pire. Car je ne pense pas que l’on puisse jouer avec le danger. A ceux qui disent que si l’extrême droite arrive au pouvoir « cela nous regonflera tous », je réponds qu’elle aura ses armes, sa constitution, et que ce sera redoutable. A nous de déterminer comment notre société peut faire face. Nous vivons une décomposition et une lente agonie d’un système fatigué, épuisé, qui en vient à détruire les deux familles politiques qui l’ont géré, à savoir le gaullisme et le mitterrandisme. C’est la fin de ces deux cycles qui se joue devant nos yeux. Avec les échappées de Macron d’un côté et Mélenchon de l’autre, puis avec la crise des affaires… Dans tous les cas de figures nous serons dans une situation nouvelle. Ma parole est veine mais si nous sommes convaincus qu’il faut en arriver à une assemblée délibérative et à une représentation du peuple avec la proportionnelle, je pense que tous ceux qui sont sur cette conviction devaient se rassembler. Sans cela, le bonapartisme, le césarisme et le présidentialisme vont à nouveau l’emporter. Et comme toujours l’histoire ne repasse pas les plats, elle nous lègue seulement les promesses des vaincus.
Le syndicalisme reste-il dans ce cas un des derniers bastions où sait vivre la démocratie ?
E. P. : Non seulement je le pense mais c’est même une des clefs de ce que j’ai redécouvert grâce au Maitron (Edwy Plenel a publié en octobre 2016 Voyage en terres d’espoir, ouvrage rendant hommage au Maitron et à son créateur du même nom). Pour parler de mon propre itinéraire, je suis journaliste, j’ai fait du journalisme un engagement démocratique et j’ai toujours été syndiqué. Je dis que quand on est du côté de l’émancipation, quelle est la première épreuve qui doit être la notre ? Celle de s’engager là où on travaille. Car quand on le fait on s’engage avec des gens qui ne pensent pas forcément comme vous. Les histoires, les héritages, les cultures sont différentes et vous êtes donc obligés de faire le chemin vers l’autre. D’arriver à le convaincre, de trouver les causes communes existantes sur les salaires, les conditions de travail, la dignité, les droits et libertés … C’est ainsi que l’on emmène tout le monde en mouvement et que l’on ne reste pas dans un entre soi qui ne véhicule que les mêmes idées. Pour moi c’est le premier critère de l’engagement qui se joue là. Un des drames de notre pays est que la politique professionnelle a asséché le syndicalisme. Pourquoi avons nous ce faible taux de syndicalisation ? Parce que l’on a ramené l’engagement à la politique professionnelle. A des carrières, à des castes d’élus. Le cœur de l’engagement social est donc maltraité.
Vous parliez de votre propre parcours. Qu’avez-vous appris en quarante ans de journalisme et des combats que vous y menez ?
E. P. : J’ai peut être appris la patience. Je reste fidèle à ce que j’appelle le droit de savoir. Pour moi faire ce métier n’est pas simplement avoir un salaire et une carrière. C’est être au service d’un droit fondamental des citoyens. Nous sommes issus d’une génération qui a appris à tenir deux bouts : la critique de comment le régime marchand peut être corrupteur et étouffer les idéaux de liberté, mais aussi comment on ne peut pas défendre la liberté au mépris de celle-ci. J’ai mené des combats compliqués, comme au Monde par exemple, car quand on est dans une grande entreprise qui a sa propre histoire on peut être mis en minorité, comme cela m’a arrivé. J’ai perdu une bataille, j’en ai tiré les conséquences. J’aurais pu me dire que c’était fini, devenir aigri ou blasé, cynique. Ce que j’appelle la patience c’est donc se dire qu’il faut continuer et au fond, ce qu’incarne Médiapart est une histoire de transmission. Bien sûr, c’était une histoire de résistance car nous avons d’abord voulu dire non et défendre l’idée que le journalisme pouvait relever la tête, qu’il pouvait avoir de la valeur, une valeur qui fait qu’il y a des emplois, que l’entreprise vive de ses abonnées et pas de grands actionnaires. Une valeur démocratique ensuite, car pour moi un journal est une université populaire. A tout âge on peut apprendre, quelle que soit sa condition ou son origine. On n’a pas tous été à l’université ou dans les grandes écoles, mais si on a un journal de qualité et qu’on se met à le lire, on y apprendra des choses.
Patience, résistance et transmission sont donc vos maîtres mots ?
E. P. : Oui, quand je dis patience j’entends ensuite résistance. Puis transmission. Je rajouterai même une forme d’entêtement au service de nos idéaux. Je me souviens du succès d’Indignez-vous de Stéphane Hessel. A un moment ce petit manifeste était acheté par des parents et des grands-parents pour l’offrir aux plus jeunes. Le message était que tu es comptable de ta liberté. Tu dois donc en faire quelque chose et ne pas en profiter de manière égoïste. Voilà le message que notre journalisme veut porter.
Propos recueillis par Jérémy Attali
Crédit photo : Nathaly Durepaire
Voyage en terres d’espoir, d’Edwy Plenel
Aux éditions de l’Atelier
« Ce voyage est une invitation à se promener sur le continent des obscurs. À partir à la recherche de celles et ceux dont le souvenir est effacé par les puissants et les dominants, qui réquisitionnent l’Histoire à leur profit. Bref, à aller à la rencontre de tous ces militant-e-s de l’égalité sans lesquels nos idéaux démocratiques et sociaux n’auraient jamais vu le jour. Or seul le Maitron, cet immense dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social, avec ses milliers de héros inconnus ou méconnus, donne librement accès à ces territoires oubliés, sur une longue durée qui va de 1789 à 1968. »
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