Jean-Pierre Mocky : « Je fais du cinéma pour éviter de m’emmerder »

L’intarissable réalisateur débute l’année avec le tournage de nouveaux épisodes de Myster Mocky avec à l’affiche Edouard Baer, Niels Arestrup ou Virginie Lodoyen.

Se définissant lui-même comme l’un des derniers Mohicans d’un certain cinéma français, l’intarissable réalisateur débute l’année avec le tournage de cinquante-quatre nouveaux épisodes de Myster Mocky présente, avec à l’affiche Edouard Baer, Niels Arestrup ou Virginie Lodoyen. L’occasion de faire un état des lieux sans concession des acteurs et réalisateurs d’hier et d’aujourd’hui. De Godard à Jacques Demy, de Jean Marais à Dujardin en passant par Belmondo ou Gene Kelly, entretien en liberté et sans langue de bois autour d’un métier taillé sur mesure pour Mister Mocky.

Vous avez réalisé quarante-six films inspirés de nouvelles d’Alfred Hitchcock et cinquante-quatre sont encore prévus. D’où vous est venue l’idée de ces Myster Mocky Présente ?
Jean-Pierre Mocky : À vrai dire l’idée ne date pas d’hier. Avec François Truffaut, nous étions allés rendre visite à Hitchcock à Hollywood, c’était en 1962. Nous avions par la même occasion rencontré sa fille Patricia avec qui nous nous sommes liés d’amitié. C’est à la mort de son père qu’elle nous propose de prendre la suite de la série qu’il faisait pour la télévision, qui s’appelait Alfred Hitchcock présente. Il s’agissait d’histoires d’une demi-heure avec une super star par épisode comme Cary Grant par exemple. Il s’agit à chaque fois d’une histoire choc évidemment, avec du suspense et une touche d’humour noir.

Alfred Hitchcock écrivait tant de nouvelles que ça ?
J-P. Mocky : Hitchcock avait un magazine dans lequel il publiait tout. Sur les huit ou neuf cent nouvelles, il en a réalisé cent quatre-vingt quatorze qui font alors les beaux soirs de la télévision américaine. Avec la différence essentielle par rapport aux séries d’aujourd’hui que l’acteur principal change à chaque épisode.

Justement, dans les précédents épisodes, vous tournez avec Emma De Caunes, Didier Bourdon ou Bruno Solo. Quels prochains acteurs envisagez vous ?
J-P. Mocky : Nous avons tourné deux opus en décembre avec Niels Arestrup puis Virginie Ledoyen. Pour la suite, nous aurons à l’affiche Olivier Marchal, Edouard Baer, Nathalie Baye, Florence Foresti ou encore Patrick Bruel. En voilà une belle aventure !

Ce qui fera une centaine d’acteurs principaux. Est-ce facile de dénicher autant de talents différents ?
J-P. Mocky : En partant du principe que les plus grands comme Jean Marais ne sont plus et que les Alain Delon, Jean-Paul Belmondo ou Jean-Louis Trintignant n’ont pas de relève mais sont des souvenirs ou des statues… Heureusement que quelques acteurs contemporains surnagent dans tout ça. Je suis censé trouver cinquante-quatre vedettes différentes, cinquante-quatre que je n’ai pas déjà eues dans les quarante-six premiers épisode. Alors non, ce n’est pas facile…

Vous pensez vraiment que les grands acteurs du passé ne sont pas remplacés ?
J-P. Mocky : Ceux qui ont disparu ne sont pas remplacés parce que les temps ont changé. Ceux que l’on appelait des icônes sont en voie de disparition. Jean Dujardin n’est pas Gérard Philippe ni Jean Marais. Il y a un décalage d’abord par le physique : Jean Marais était un homme superbe, vraiment superbe. On a rarement vu quelqu’un d’aussi beau que Jean Marais. La plupart de ces grands acteurs avaient été découverts avant la télévision et il s’agissait des gens de théâtre. Maintenant avec la télé tout est planifié, personne n’est étonné de voir ceci ou cela dans la petite lucarne car ils y sont eux-mêmes… Le spectateur est souvent pris comme un acteur. Pour quel résultat ?

Les jeunes réalisateurs arrivent-ils à vous étonner ?
J-P. Mocky : Ils ne sont pas plus mauvais que les autres. Mais ce n’est pas la même formule. J’ai toujours pensé, comme mon copain Jean Gabin, que seule l’histoire compte dans un film. Une bonne histoire d’un inconnu marchera toujours mieux qu’une mauvaise histoire d’une célébrité. J’ai été l’assistant de Jacques Tati : il a fait une affaire formidable avec Jour de fête ! A savoir des millions de bénéfices sur un film de soixante-sept minutes. Un format différent donc, mais une histoire géniale. Je pense ensuite à Claude Lelouch qui a commencé en faisant sept films qui n’ont pas marché. Un jour, il a cette idée géniale d’Un homme et une femme. Une idée doublement géniale car non seulement le sujet était universel, mais en plus il fait une histoire d’amour de quarante-cinq minutes et la vend pour une heure trente puisque le reste ce sont des images de courses de bagnoles ! Tenir une histoire d’amour sur une heure trente ce n’était pas possible, par contre avec ce savant mélange… C’est le génie des génies.

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Vous parlez beaucoup d’un cinéma des années cinquante à soixante-dix. Vous considérez-vous comme son dernier représentant ?
J-P. Mocky : Je suis l’un des derniers dinosaures de par mon âge mais surtout par le nombre de films que j’ai réalisés. Cela va faire cent vingt-six films avec les quarante-six qui arrivent ! Maintenant, mon dernier espoir est d’égaler John Ford et ses cent-cinquante films. Avec la différence qu’il était un type assis chez lui la plupart du temps vu qu’il bossait pour la Paramount et qu’il n’attendait qu’un coup de fil pour se lever : l’argent était trouvé, les décors installés. Il n’avait plus qu’à se rendre sur le lieu du tournage.

Jean-Luc Godard et vous-même seriez donc les deux derniers des Mohicans ?
J-P. Mocky : Du point de vue de l’âge encore une fois, nous ne pouvons que dire que nous sommes les derniers. Les autres sont morts ou ne travaillent plus. Godard d’ailleurs ne veut plus travailler. Nous avons sévi ensemble pour un film de télévision qui s’appelle Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma à la fin des années quatre-vingts. Aujourd’hui le problème d’avoir plus de 80 ans est en effet d’être considérés comme les derniers. Notre génération de cinéastes n’est plus. Truffaut était quelqu’un de sain qui ne faisait pourtant pas d’excès. Eric Rohmer pareil. Nous avons perdu Chabrol, et tant d’autres…

La Nouvelle Vague trouve-t-elle grâce à vos yeux ?
J-P. Mocky : La Nouvelle Vague venait de plateaux de reportages, pas de tournages. La différence entre eux et moi, ou entre eux et nous, c’est que Godard a tourné avec Brigitte Bardot et moi avec Catherine Deneuve. Tous les gens de la Nouvelle Vague, eux, tournaient avec des jeunes acteurs car ils craignaient les vedettes. C’étaient un peu des gens comme vous, des journalistes, qui se sont lancés dans le métier puis sont devenus réalisateurs. Aujourd’hui, ceux qui nous remplacent sont en majorité des jeunes femmes et des jeunes hommes qui nous parlent de leur vie. Quelques fois cela marche. Au milieu de tout cela il reste des gens comme Alain Chabat qui perpétuent la tradition de la télévision des années soixante-dix. Il y a de quoi se sentir un peu perdu au milieu de tout ça. Des nouveaux réalisateurs arrivent d’on ne sait où et ne sortent d’aucune école, à l’inverse de ma génération. Pour ma part j’ai commencé à neuf ans dans les studios.

Vous dites souvent que d’illustres artistes comme Ferré, Mouloudji et même Brel avaient un rapport ambigu à la télévision…
J-P. Mocky : Parce qu’aujourd’hui ils n’auraient pas d’audience ! Ce sont des gens qui ont été bafoués par les médias et que la télévision ne voulait pas voir. Ils ont fait une carrière hors grands médias même si on leur rend des hommages télévisuels maintenant. Posez-vous des questions, si Léo Ferré s’est réfugié aux Iles Marquises à un moment de sa vie ce n’est pas un hasard… Moi-même je ne suis pas loin d’aller à Tahiti car j’y ai une maison, offerte par un ami (rires) ! Ce grand cirque médiatique nous donne parfois envie de quitter les lieux. Je pourrais y tourner aussi bien qu’ici !

Au même titre que pour la télévision et les médias en général, les téléspectateurs sont-ils en attente de plus de vérité dans le cinéma ?
J-P. Mocky : Je le pense. Bien des sujets sont interdits ou tabous dans le cinéma français. J’ai fait un sujet sur les étudiants cobayes qui se font piquer jusqu’à en mourir. J’ai fait un film sur le foot et les malades qui se battent jusqu’à la mort. Quand j’ai osé montrer l’Assemblée Nationale avec 450 députés nus, j’ai connu huit ans de traversée du désert. Je ne voulais pas me foutre de la gueule des députés mais dénoncer à quel point une grande partie était composée de pourris. Il y a des choses auxquelles on ne peut pas toucher. Les américains ou les italiens ont toujours dénoncé des scandales dans le cinéma. La mafia, les monopoles immobiliers, la malbouffe…

IMG_8359Il n’y a donc pas de cinéma social ni d’investigation en France ?
J-P. Mocky : On répugne un peu à faire de la polémique. Il y a très peu de films polémiques en France. On a peur et on ne veut pas déranger, l’idée est de rester dans le moule une fois arrivé. Regardez, on m’a proposé de faire un film sur la traite des albinos en Mozambique. Vous savez qu’on leur coupe la tête et que cela se vend 10.000 euros ? C’est si horrible que cela ne semble pas vrai, hein. Mais comme on accepte mal la réalité de l’esclavage en Lybie finalement. Et puis je pense à d’autres sujets comme les SDF qui n’ont aucun statut dans notre société, le bénévolat qui est un système d’exploitation total. Un vieillard va servir à bouffer à des enfants, entraîner des gosses au foot, on va l’exploiter car il paie son essence, son logement parfois. J’ai fait un film à la gloire des quinze millions de femmes seules… Tout ça, ce sont des grands sujets. Les retrouvez-vous ailleurs ?

D’où vous vient cet attrait pour la vérité brute dans vos films ? Est-ce un besoin d’exorciser la cruauté et l’ironie des hommes ?
J-P. Mocky : Sûrement que j’aurais pu être journaliste car je puise mes sujets dans la réalité ! Mais c’est peut-être aussi à relier avec mes origines slaves. Polanski, Milos Forman ou moi considérons que la vie n’est rien sinon que de la poussière. Partant de ce postulat, la dérision s’impose, en effet. « Rien ne sert à rien », c’est le malheur des Slaves d’ailleurs. Cela empêche peut-être une forme de rébellion, mais évite aussi la prétention. Je déteste les gens prétentieux. Bien des réalisateurs sont de grands ennemis intimes tant ils sont prétentieux (rires).

Notre époque individualiste n’est-elle pas plus propice à l’égo et à la prétention ?
J-P. Mocky : Un artiste prétentieux est un con. L’Artiste est celui qui sait qu’il ne faut jamais l’être. Certains pensent avoir fait des films parfaits, ils se trompent. Le cinéma fait partie de ces disciplines qui ne peuvent être parfaites. Vous écrivez, vous décidez d’un décor, vous imaginez telle scène dans tel lieu mais pour matérialiser tout cela à l’identique, c’est impossible. Ceux qui pensent avoir fait un chef d’œuvre m’amusent. C’est pour ça que je suis contre les prix et les honneurs. J’ai eu deux César par le biais de mes interprètes, malgré moi donc. A l’école déjà, les notes sont faussées par le fait qu’il y a des élèves pauvres ou de classes sociales difficiles qui n’auront jamais un professeur particulier ou de bonnes conditions pour étudier. C’est la première des injustices.

Mais en mettant de côté l’égo, la prétention ou encore la gravité de l’existence, pourquoi Jean-Pierre Mocky fait-il du cinéma ?
J-P. Mocky : Je suis un peu comme Godard. Je fais ce métier pour éviter de m’emmerder. Quand on atteint un certain âge, c’est la retraite puis le bénévolat. Moi je ne voulais pas m’arrêter de boulonner. Dans notre domaine, on peut travailler jusqu’à sa mort comme le réalisateur Manoel de Oliveira, décédé à cent-trois ans en plein tournage de son film. Je me dis que c’est quand même pas mal.

L’autre « grand cirque » que vous dénoncez souvent est celui de la sortie en salles de cinéma, que vous estimez déloyale.
J-P. Mocky : Depuis vingt ans j’ai fait vingt-sept films. Mais je ne les donne qu’à des « fans ». C’est à dire que je refuse totalement de me mettre sur le marché. Quand on arrive en salle un mercredi il y a quinze films à l’affiche et il s’agit de faire une course à la publicité. Imaginez si vous sortez en même temps que Star Wars ou Spirou ! Comment se battre contre des millions de budget de publicité ? Moi, je ne peux pas lutter. Donc je fabrique des films en pré-vendant mes DVD en France, en Chine ou en Inde. Et quand on arrive à 40.000, le film est amorti.

AffichetteMais le DVD n’éloigne-t-il pas le public des salles de cinéma ?
J-P. Mocky : Oui et non. Il est aussi devenu un peu comme un livre, un bel objet. Au cinéma, vous payez votre place et une fois sorti vous n’avez plus rien. Et puis pensez que le cinéma « à la maison » se démocratise ainsi que l’équipement qui va avec. On peut alors projeter un film plusieurs fois, le voir avec plusieurs personnes différentes, pour le même prix de départ. Cette catégorie de cinéphiles est une vraie clientèle, notamment là où il n’y a pas de cinéma de proximité. Tout cela pour dire que je n’ai plus vraiment besoin de publicité ou de diffusion à grande échelle. Et j’ai envie de dire, même pas des journalistes (rires) !

Sans publicité et donc sans journalistes, après les Myster Mocky présente, vous réaliserez Un drôle de jardinier, avec un casting de renom encore une fois.
J-P. Mocky : Ce sera en effet un film réalisé avec Gérard Depardieu, Nathalie Baye et Philippe Duquesne. Nous tournerons à Bourges car la ville s’est investie dans la production du film. Mais ce n’est pas mon seul et unique projet, on me propose bien des choses, comme un scénario anglais avec Madonna et Lady Gaga. Cela paraît loufoque mais il s’agirait d’aborder les pérégrinations de vedettes en tournée. Dans le temps, Robert Aldrich avait fait un film qui s’appelait Le grand couteau, cela se passait dans le milieu du théâtre. On y montrait la cruauté de la discipline en dehors de la scène. Aujourd’hui on veut faire la même chose sur le monde du music-hall. Et puis, un ancien footballeur devenu Président du Libéria, Gorges Weah, m’a contacté pour tourner une comédie musicale là-bas. Alors oui, j’ai été bercé par West side story de Leonard Bernstein et les chorégraphies musicales de l’époque que je trouve extraordinaires. Il s’agissait pratiquement de peinture. Puis j’ai été émerveillé par Jacques Demy ou Gene Kelly. Mais je reste cependant un peu sceptique sur ce coup-là.

Propos recueillis par Jérémy Attali
Crédits photos : Maud Darbois

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