Déboire(s) et des dessins : Alex Qin ou la rehab en images

Minimalistes et percutants, les dessins de l’artiste tracent ses déboires… et ceux de l’humain, en général.

Ex-addict, Alex Qin a décidé de narrer sa désintox par le texte et l’image sur son compte Instagram “Withdrawings”. 

Française expatriée à Brooklyn, Alex Qin a vécu pendant plusieurs années des addictions diverses, de l’alcool aux drogues en passant par les troubles alimentaires. Des moyens de combler un vide, qu’elle abandonne il y a bientôt un an pour une nouvelle quête : vivre avecce vide. Un processus compliqué qu’elle narre en dessins, armée de son Muji .38. Plutôt que faire couler le whisky, faire couler l’encre – c’est cet artistique exutoire qu’elle partage chaque jour sur son Instagram, @withdrawin.gs, withdrawings pour “withdraw”, priver et “drawings”, dessins. Les dessins de l’abstinence, en un sens.
Un noir et blanc vif, une trait sec et fin, assuré autant que vacillant, des mots incisifs et une vérité ancrée dans chacun de ses travaux : Alex Qin présente des œuvres poignantes qui montrent de la pointe du feutre ses peurs, ses angoisses, ses questionnements. Le spectateur est entraîné dans un tourbillon. Et les sentiments que l’artiste affiche dans leur vérité la plus pure, il les a sûrement déjà vécus, même de loin : si la façon de gérer nos émotions – la fuite, les drogues, l’affrontement – n’est la même pour personne, les points d’interrogation qui font naître le trouble se retrouvent en chacun.

J’avais 15 ans la première fois que j’ai bu de l’alcool (…)” ©Alex Qin

Cette transmission si honnête par son travail de ses maux les plus sombres est sûrement un des points qui rallie autour de son travail. Mais avant tout, c’est surtout l’encre noire, les quelques pointes de rouge, les personnages comme des fantômes d’un soi indéfinis qui se baladent d’œuvre en œuvre qui attrapent l’oeil. À la fois journal de bord et série d’art travaillée au quotidien, les withdrawingssont des dessins qui interpellent par l’esthétisme avant même d’en connaître le sujet.

Si la jeune new-yorkaise a encore du mal à se qualifier d’artiste, elle parvient pourtant à remplir le job grâce à sa capacité à émouvoir celui qui regarde en étant sincère et juste, sans fard, sans pudeur, mais avec talent. Le vide d’Alex Qin a de jolis atours, et nous avons rencontrée l’artiste pour vous.

Quand t’es venu le dessin ?

Enfant, j’adorais dessiner. Je dessinais tout le temps. J’adorais les comics et les mangas, et je faisais des bandes-dessinées pour mes amis. Mais parce que je ne me trouvais pas très douée et que les autres élèves de mon collège se moquaient de moi, j’ai arrêté vers 14 ans. Puis, il y a dix mois, j’ai arrêté l’alcool, les drogues et d’autres addictions, ce qui a été assez difficilement supportable alors j’ai commencé à dessiner mes émotions tous les jours, comme exutoire. Pendant les trente premier jours de ma sobriété, j’ai fait un dessin par jour. Puis j’ai arrêté. Quelques mois plus tard, j’ai lu le livre de Julia CameronArtist’s Wayet cela m’a redonné l’élan pour reprendre une pratique quotidienne.J’ai décidé de concrétiser cela avec un post par jour sur Instagram, histoire de me rendre des comptes. C’était il y a six mois.

Est-ce qu’aujourd’hui, malgré que ta reprise soit récente, tu te sens « artiste » ?

Mon premier instinct est de répondre « Non, absolument pas ! » (rires), mais ce ne serait pas vrai. Je commence à peine à me sentir à l’aise de me dire artiste, même je ne fais pas ça de façon professionnelle, car pratiquer et vivre l’art sont définitivement parmi les choses qui me tiennent le plus à cœur. J’essaie d’infuser de la créativité à tout ce que je fais.

“Ma drogue de choix: [me détester]” ©Alex Qin

Retrouver la pratique de l’art est sûrement le plus beau cadeau que m’a apporté ma désintox. J’ai décidé de devenir sobre pendant un voyage. Mon mariage était tombé à l’eau, je venais de perdre mon job, ma carte verte et mon visa de travail à cause de mes addictions, alors j’ai mis toutes mes affaires dans un box et je suis partie de New York avec un rêve : apprendre à m’apprécier. Ce voyage m’a emmené en Chine, le pays d’origine de mon père. J’ai commencé ma désintox à Hong Kong, puis Taipei, ensuite Tokyo et Naoshima. Tout au long de mon parcours, j’ai dessiné, écrit, visité des musées, cherché l’art. Ça m’a soudain frappé, l’importance que l’art a pour moi. J’ai vécu toute ma vie en me disant que je n’étais pas une artiste, que je n’avais pas de talent et donc j’ai étudié les sciences surtout puis je suis devenue codeuse… ce qui est en soi une forme d’art, mais pas dans la vision que j’en avais avant. Mon sevrage m’a amenée à retrouver mon « ombre artistique ».

Ton travail est à la fois de l’image et du texte : est-ce que le mot et le dessin sont nécessairement liés selon toi ?

“Je t’ai envoyé des photos nue alors que j’étais sortie avec d’autres amants” ©Alex Qin

Mon premier “withdrawing”portait cette question « How do you become whole? Is becoming whole just becoming ok with you hole ? » (« comment se sentir entière ? Est-ce que se sentir entière c’est accepter son vide? » en VF) et d’une certaine manière, le chemin vers la guérison et mon projet artistique est le chemin vers la réponse à cette question.

Quand je travaille, je pense que les mots me viennent d’abord et je cherche ensuite à les représenter. Parfois, l’image ne vient pas facilement et je dois creuser, détourner, essayer d’autres choses. Mais en général, une idée générale arrive et elle a ses mots et sa représentation visuelle. Le mot et l’image sont deux moyens d’expression différents. C’est aussi pour cela que j’adore les films : le texte, l’image et la musique ensemble créent une expérience immersive qui peut parfois aller jusqu’au spirituel.

Ton travail sur @withdrawin.gs traite de ton sevrage, ta sobriété, tes anciennes addictions… est-ce que le dessin est une aide dans ton processus de guérison ?

Dessiner est essentiel pour mon rétablissement oui. C’est important de trouver ce qui t’apporte de la joie, de la satisfaction et du sens quand tu te sèvres. Sinon, la sobriété est… triste, ennuyante, pas assez sympa pour te motiver à restersobre. Dessiner chaque jour me permet de rester en contact avec mes émotions, mes sentiments, d’exprimer les moments trop durs, d’être fière aussi, de me sentir entourée… surtout de me sentir en accord avec moi-même et d’aimer le travail que je fais.

Pourquoi as-tu décidé de partager tes tribulations d’ancienne addict sur Instagram sous forme d’un journal intime 2.0… et plus si intime ?

J’ai commencé à dessiner dès mes premiers jours de sevrage pour sortir mes émotions, en tant qu’exutoire. Poster mes dessins revenait à me rendre des comptes au jour le jour. Je voulais développer une certaine discipline autour de ma pratique artistique, ce n’était pas vraiment pour échanger avec d’autres sur un réseau social que je publiais mes dessins. Mais petit à petit, des personnes ont fini par trouver mon travail, ont commencé à me suivre… ça a été très émouvant de rencontrer des gens qui traversent les mêmes douleurs et épreuves.

“[menteur-menteur-menteur] Je t’aime [menteur-menteur-menteur]” ©Alex Qin

On voit souvent Instagram comme un réseau social qui encourage et entretient les addictions et obsessions plutôt qu’un outil de guérison. Comment te sens-tu par rapport à ce média en relation avec le travail que tu livres ?

J’étais clairement obsédée par les réseaux sociaux avant mon sevrage. Je postais au moins vingt stories par jour sur mon compte personnel, j’étais toujours à l’affût des réponses, du nombre de personnes qui regardaient et likaient. J’étais en quête de validation. Est-ce qu’ils pensent que je suis cool ? Est-ce qu’ils m’admirent ? Est-ce qu’ils me voient ? Est-ce que je vaux quelque chose ? Et je passais des heures comme ça sur mon fil d’actualité à regarder, juger, envier tout le monde. Ce n’était vraiment pas sain.

Maintenant, la plupart du temps je poste simplement monwithdrawing et je n’utilise plus quasiment plus mon compte perso, ou alors pour parler de mon travail et ce qui s’y attache. Je peux me retrouver encore un peu obsédée par Instagram parfois – la pleine conscience est un travail de tous les jours. Les réseaux sociaux sont faits pour nous rendre addicts et nous faire nous sentir nuls. Mais je pense que nous pouvons les utiliser autrement. Les communautés de soutien face aux maladies psychiques que j’ai rencontrées via Instagram sont de très belles rencontres qui m’ont beaucoup aidée.

Est-ce que tu penses aider également les gens qui gravitent autour de tes publications, qui interagissent avec toi ? Est-ce que cela fait aussi partie de ton cheminement maintenant ?

“Tu as dit que j’étais le soleil, j’ai répondu que tu ne voyais pas la noirceur en moi. Mais peut-être que tu avais raison et je ne voyais pas la lumière” ©Alex Qin

Absolument, ça a été génial de recevoir des messages d’autres addicts, sevrés ou pas, de personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire ou de toute autre maladie mentale qui m’ont dit que mon travail résonnait avec ce qu’ils avaient vécu ou vivaient, et que je les aidais. Dès que je reçois un de ces messages, je suis reconnaissante que ma peine puisse être un moyen de transmettre de l’aide aux autres. Et maintenant que je suis sobre depuis dix mois, mon travail n’est plus tant à propos de mes addictions, mais davantage sur la condition humaine en général. Ces choses avec lesquelles on galère un peu tous : vouloir être vus, vouloir être aimés, vouloir se sentir bien.

Alex Qin exposera à New York le 1 décembre 2019,  les infos ICI.

Propos recueillis par Maud Darbois.

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