Olivier Terwagne, la belgian poésie pop
Rôdant à la lisière d’un son belgian-électro-pop, Olivier Terwagne aime à parler de «poésie-pop» quand il fait référence à son univers.
Dans son dernier EP Idoles, Olivier Terwagne nous engage à un voyage nocturne truffé de références et symboliques qu’il aime manier et raviver. Féru d’Histoire et de philosophie, le jeune belge à la voix tantôt aérienne tantôt plus rauque propose des sons et des textes à plusieurs sens. A la sortie du confinement et depuis « le premier bistrot que je fréquente depuis le mois de mars », entretien-découverte avec un auteur, compositeur et interprète ancré dans ses – plusieurs – époques, autour de Gainsbourg, Leprest, Platon ou Diotime.
Tes influences musicales sont nombreuses mais peux-tu nous dire ce qu’écoutait Olivier adolescent ?
Olivier Terwagne : A cette époque de ma vie je suis clairement marqué par les paroles de Serge Gainsbourg en découvrant Mélody Nelson. Je crois que je connaissais même Gainsbarre avant de connaître Gainsbourg. Le personnage que je découvre me séduit et c’est comme ça que je m’intéresse à sa musique. Dans le même temps j’écoute aussi beaucoup de rap, autant américain que francophone avec Dr. Dre, Snoop Dogg, MC Solaar ou IAM. Puis à mes 18 ans un vrai choc se produit avec Yann Tiersen qui sort son album la Valse des monstres. On est avant Amélie Poulain, autour de l’année 1997. Je me souviens de son utilisation de l’accordéon alors que je connaissais surtout le piano à mon âge, cela a été une réelle découverte. Et je te dis ça puisque l’on est dans le registre purement musical car il n’écrit pas de textes, ou peu, en anglais, mais on ne le retient pas forcément pour ça. Je peux rajouter à ça Noir Désir avant que Cantat ne tourne mal. Tout ça arrive à peu près à la même époque, c’était une période assez charnière pour moi.
Tu dis ne connaître, à tes 18 ans, que le piano ?
Je commence le piano à l’âge de 16 ans et mes premiers concerts, sur ce même instrument, se passent en effet à mes 18 ans. J’ai fait ce que l’on appelle en Belgique une académie de musique, l’équivalent de vos écoles de musique françaises. Le but était d’éviter de payer des cours particuliers. Il y avait des cours de solfège pour apprendre à lire et retranscrire les notes ainsi que les rythmes. Un cours de piano donc, et puis également d’ensemble instrumental, avec beaucoup de cuivres et de flûtes sur des reprises de musiques de films. Comme il n’y avait pas de bassiste c’est moi qui endossait le rôle. On peut donc dire que j’assumais le rôle de la main gauche (rires). J’apprends ensuite, seul, la guitare et l’accordéon.
Comment arrivent ensuite tes envies d’écrire et de chanter ?
Le texte et le chant arrivent plus tard. Je lis de la poésie, Rimbaud, Baudelaire, mais je ne sais pas encore lier les deux disciplines. Je peux écrire un modeste poème et une petite chanson mais je ne sais pas encore marier les deux. Le déclic arrive en lisant des textes inédits de Georges Brassens quand je trouve une musique pour accompagner ses écrits. Je me dis à ce moment-là qu’il faut bien chanter, et cela arrive donc petit à petit alors qu’au départ ce n’était pas un exercice qui me passionnait. Parce qu’il faut savoir que plus jeune, j’avais quelques problèmes de dictions et que j’ai justement pu les résoudre grâce à l’apprentissage des textes. L’approche purement musicale est une chose mais ce qui m’a sauvé c’est la lecture, la poésie, le fait d’apprendre un texte par coeur un peu à la Luchini, quelqu’un que j’apprécie d’ailleurs. Mon vocabulaire s’est également enrichi. Je me souviens aussi que je découvre dans la foulée Jardin d’Hiver par Benjamin Biolay et je pense que c’est un deuxième déclic : je me dis qu’un artiste qui n’est pas considéré comme un chanteur à voix peut être sublime et cela me décomplexe en même temps que cela me déculpabilise de vouloir faire de la chanson. J’aurais certes pu avoir ce déclic de la même manière avec Serge Gainsbourg ou Brassens mais, c’est surtout Biolay, peut-être car c’était un chanteur vivant. Il m’a fait prendre conscience que l’on pouvait presque susurrer pour chanter, comme dans ses tous premiers albums dont Rose Kennedy. Voilà le moment où ma culture musicale et littéraire semblent se rencontrer.
Et ta culture littéraire, présente dans tes chansons, quelle est-elle ?
Je me rends compte que j’essaie toujours de construire des textes à trois niveaux de lecture. En écrivant un phrase ou un vers, des références arrivent toujours derrière, sans qu’elles ne soient que purement littéraires mais aussi philosophiques ou historiques. Dans mon morceau Banana Splitsing, je parle de l’histoire de mon pays, le « splitsing » voulant dire en flamand « séparation » : la Belgique souffre d’un problème communautaire entre Flamands et Wallons et je fais référence dans cette chanson – le titre faisant un clin d’oeil à la chanteuse Lio – à l’Empire du moindre mal, du philosophe Jean-Claude Michéa. J’essaie d’apporter des références philosophiques dans les messages que j’aime faire passer. Et cela me plaît que la littérature, actuelle ou passée, vienne éclairer notre époque. En parlant de ça je repense à un artiste beaucoup trop méconnu qu’était Allain Leprest et ses textes à plusieurs niveaux sur une chanson. Bashung sait le faire aussi.
Tu trouves que c’est encore assez rare dans la musique francophone ?
C’est peut-être un des complexes de la chanson française : veut-on faire de la musique ou des textes ? Je défends toujours le fait qu’un artiste comme Brassens était aussi un grand musicien. Il ne s’occupait pas des arrangements car cela le passionnait peu mais il accordait une énorme place aux mélodies. En Belgique, quand tu demandes de résumer le son de la musique française on te répond souvent que c’est ringard. Heureusement que des artistes comme Biolay ont réussi à casser cette image fausse, notamment en invitant sur ses albums des mecs comme Orelsan ou Oxmo Puccino. Il a fait un réel travail d’ouverture à ce niveau-là.
Tu vas même plus loin que des textes à plusieurs niveaux puisque tu glisses beaucoup de références historiques dans tes chansons, ce qui est somme toute assez singulier.
Mes études m’ont amené à être agrégé d’histoire spécialisé dans l’Antiquité. J’y suis venu sans trop savoir où j’allais : mes parents me poussaient à faire des études et à avoir un diplôme, alors que si je m’écoutais, je désirais faire du cinéma : ingénieur du son, ingénieur musique… L’artistique dans une famille ne fera pas peur si tu t’appelles Matthieu Chédid ou Dutronc, car ils sont nés dedans. Quand tu viens d’une famille où personne n’est artiste, tu n’as pas de références et ce qui est artistique est surtout considéré comme un hobbie, une passion à la rigueur. Donc quand tu es plutôt lettres et pas très maths, tu fais histoire. Grâce à ces études, j’ai pu cependant rencontrer une sorte de « grand Aristote », un vieux mec barbu qui m’a raconté l’Histoire de la Grèce et ce fut un choc pour moi. Cela m’a ouvert à tout un tas de choses et je suis allé au bout de mon cursus. Sans pour autant abandonner l’idée de faire de la musique.
Ta musique dans laquelle tu amènes donc symboliques et thématiques qui te sont chères.
C’est ce que j’essaie de faire et c’est très difficile à mettre en avant. Quand je parle d’Histoire dans mes chansons je me rends compte que ce n’est que rarement abordé ailleurs, c’est un thème un peu à part. Mon album Idoles en parle un peu, je mets en lumière Diotime, qui a appris l’amour à Socrate. C’est pour moi fascinant car c’est la seule femme philosophe à laquelle fait référence Platon dans toute son oeuvre. Or le point de départ de la philosophie est l’Eros, c’est à dire le désir. Je trouve intéressant d’écrire une chanson où Diotime vient nous rassurer dans le quotidien le plus prosaïque qui soit. J’aborde aussi les jeux du cirque où l’empereur César distribue ses pouces hauts ou bas. En écrivant tout ça je n’ai pas de contrôle sur le texte et quand je l’analyse ensuite j’aime me dire que cela rapporte à la fois à l’amour, à la philosophie du quotidien. L’idée est de jeter des ponts entre les siècles.
Les différentes époques semblent te passionner et c’est d’ailleurs le thème de ton EP précédent, Les cartes de vacances.
Je suis obsédé par le voyage dans le temps, Les carte de Vacances aborde complètement cette thématique. C’est moi et mes drôles de dames, donc un plan à trois (rires), qui passons nos vacances ensemble en 1968. On en revient donc encore une fois à l’Histoire. Je ne sais pas si parler sans cesse de sentiments amoureux dans mes chansons me plairait. Ça vient quand ça vient, sans plus. J’essaie donc d’exprimer autre chose, mais ce n’est pas facile car on peut te reprocher de faire des textes trop obscurs. Alors que je suis capable de faire des chansons plus légères. Dans le métier on te classe assez vite. C’est en prenant le temps de connaître un artiste que peuvent s’apaiser les malentendus.
Là où le malentendu n’existe pas, c’est en tout cas sur la singularité de tes textes. Où puises-tu tes sources d’inspiration ?
J’ai beau terminer mes textes de manière solitaire, il faut généralement que je sorte. J’ai besoin d’écouter les gens, dans les bistrots ou ailleurs, de multiplier les conversations. Tu vois je discutais justement avec une amie qui fait de la photo de nu et a du mal à accepter son corps. Elle revendique le fait de ne pas vouloir suivre des codes de minceur alors que le dernier photographe avec qui elle a travaillé ne l’a renvoyée qu’à ça. Ça germe déjà dans ma tête. L’idée de montrer son corps et d’en être fier tout en gardant ses complexes. Voilà où peuvent naître mes inspirations. Cela peut aussi arriver après une conversation sur la politique, sur l’actualité. Des choses personnelles qui m’arrivent. Parfois, sans partir d’un thème je m’inspire d’une phrase, qui sonne, qui reste, je me dis que je dois en faire quelque chose.
Une fois ce processus d’inspiration puis d’écriture terminé, comment te sens-tu sur scène devant un public ?
J’ai dû travailler beaucoup pour ça et c’était extrêmement difficile, surtout si tu es seul, sans groupe. J’ai d’ailleurs commencé comme ça, à plusieurs, dans les Chimères Bleues. Mon projet solo ne démarre finalement qu’il y a cinq ans. Je décide d’ailleurs de prendre mon vrai nom et pas un nom de scène. La scène est un vrai travail de communication avec le public. Dans mes premières représentations, il y a la première partie de Michel Jonasz, en France. C’était un festival avec Sansévérino, Gérard Lenormand… j’étais pour ma part dans la catégorie des jeunes talents. C’était un très bon moment. Je préfère d’ailleurs jouer dans une salle de mille personnes avec les projecteurs qui t’empêchent de voir le public qu’en plein jour comme cela m’est déjà arrivé. Mais tu sais les scènes les plus difficiles sont les cafés et les bars, il est compliqué de capter réellement l’attention des gens, de saisir le bon moment, mais c’est une vraie école que je conseillerais à tous ceux qui débutent. Seul, avec un piano ou une guitare. Après ça tu es vacciné et tu n’as plus peur de rien (rires).
C’est donc une école qui t’a endurci pour les plus grandes scènes ?
Cela dépend car au début, certaines discussions peuvent te déstabiliser et t’emmener du négatif ! Après ta représentation, tu peux tomber sur des gens qui t’expliquent qu’ils ont aimé quand tu reprenais Léo Ferré mais, pas tes propres chansons (rires). On peut te dire aussi que « le piano sans ta voix dessus c’est super ! » J’ai déjà eu plusieurs réactions de ce genre qui te font te demander ce que tu dois faire, comment tu dois évoluer. Pour beaucoup de gens, on préfère souvent un seul aspect d’un artiste alors que de mon côté quand j’aime, j’aime tout, toutes les périodes, je suis le chanteur dans tous ses travaux. Et ce que j’apprécie, c’est que petit à petit les gens me suivent de cette manière-là. On peut préférer une chanson ou une autre bien sûr, mais je sens qu’on me suit dans la globalité de mon univers.
Un univers multiple mais toujours marqué. Qu’as-tu voulu instaurer comme atmosphère dans ton dernier EP Idoles ?
J’ai voulu faire quelque chose de plus électronique ainsi que me recentrer autour du piano. Abandonner un peu les arrangements plus élaborés, aller sur du brut. Au niveau du texte j’ai également voulu être plus économe en y mettant moins de paroles. Dans La nuit les ovnis, c’est une bande originale instrumentale – qui me faisait penser à Sébastien Tellier – , je ne dis que quelques phrases et le reste se déroule plutôt dans l’ambiance sonore. Idem dans Idoles, où je mets très peu de texte. Je l’ai pensé comme un album nocturne, avec des portraits de femmes comme thème principal. Le fait de revenir aux cuivres a redonné un côté plus festif également, un message induisant que la nuit n’est jamais totalement terminée. Puis ce voyage s’achève en revenant chez moi, un peu comme Ulysse, dans La Chimay, mon chat et moi, je parle d’un retour à ma région après un voyage semblable à celui d’Ulysse. Une sorte de Lyon Presqu’Ile pour Biolay ou la plage de Sète que chante Brassens.
Durant le confinement tu as aussi réalisé beaucoup de vidéos. Une autre façon de voyager tout en étant chez soi.
Oui, je n’ai pas fait de lives mais une vidéo par jour, sur un thème particulier. En ce qui concerne la suite, je sors un single cet été, élaboré pendant le confinement : un instrumental au piano uniquement, sans textes. Je prépare aussi les concerts de la rentrée en septembre où je vais faire la première partie de Saule.
Tu aimerais bientôt retrouver les scènes françaises ?
J’aimerais par la suite franchir la frontière et faire connaître ma musique en France. Mon rêve serait d’être dans une structure donnant la place à l’artistique, et que l’on entende ma musique. En Belgique nous sommes sur un territoire peut-être trop petit, divisé en deux qui plus est, où la musique privilégiée est le pop-rock, un peu électro, très souvent en anglais, parfois en flamand.
Et de ton côté, comment qualifierais-tu ta musique ?
Je dirais que je fais de la french-pop éclectique. Ou, de la belgian-pop plutôt. De la poésie-pop ! Ça fait beaucoup (rires). Je me sens proche d’une mouvance incluant Yvan Tirtiaux, Saule… En France, j’aime beaucoup Clio, Clou, Emilie Marsh, je peux te citer cette scène française sans problème. Peux tu me citer les même en Belgique (rires) ? Il est évidemment compliqué de se singulariser par rapport à eux, je n’ai pas encore assez de recul. Si j’arrive avec mon piano et mes chansons « mélancomiques », on va dire que c’est du Vincent Delerm belge. Le risque est d’être un peu coincé. Il y a pourtant de la place !
Propos recueillis par Jérémy Attali
Crédit photo : Louis Jacques
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