Kid Francescoli, de mer(s) et de musique

Entretien autour de musique, de cinéma, de New-York ou de Marseille – que de goût – avec un garçon bien dans ses baskets, qu’il aime trainer le long des bords de mer méditerranéennes autant que sur scène. Et où dans les deux cas, il est à sa place depuis toujours.

Kid Francescoli, c’est l’histoire d’interminables heures en studio, usant de boucles sonores infinies qui trouvent leur sens une fois les voix apposées. Des voix de femmes, mais aussi celle de Mathieu Hocine, de son nom de ville, musicien élégant traversé par ses envies de voyages autant que d’apaisement dans sa cité-repère, Marseille, qui lui ressemble au trait(s) près de par la diversité des sentiments qui la définissent. Parce que si le Kid s’inspirait jusqu’à lors de ses épopées en soliste de l’autre côté de l’Océan, c’est bien dans la cité phocéenne qu’il trouve aujourd’hui les lumières singulières qu’il retranscrit dans ses derniers morceaux. 

Ton récent concert en live sur Arte s’est évidemment déroulé sans public. Comment as-tu géré cette situation pour le moins inédite ?
C’est un exercice un peu particulier car nous n’avons évidemment pas beaucoup joué ces trois derniers mois. Dans ce genre de session, on est bien sûr plus à l’aise avec le set après une quinzaine de concerts. Et puis, il y a donc le fait qu’il n’y ait pas de public, qui aide normalement à te mettre dedans. Dans ces cas-là, il faut donc faire confiance au cadre dans lequel on joue : je me disais qu’il fallait être sublimé par ce qu’il y avait autour de nous. Très vite, tu te mets dans ta musique, tu lèves les yeux au ciel en voyant la tour Eiffel éclairée ou des gens s’arrêter sur les ponts que tu traverses, et ça te galvanise. Pas autant que le public car il n’y a pas d’équivalent en terme d’énergie ou de vibrations, mais le cadre était vraiment élégant.

Pour revenir plus largement sur l’aventure de Kid Francescoli, tu es souvent accompagné par des voix féminines. C’est indispensable à l’univers que tu veux créer ?
J’aime prendre les décisions importantes et créer la base et le coeur des morceaux. Pour moi, Kid Francescoli est un projet en solo, car même une fois que j’ai les voix c’est moi qui passe des jours et des jours à trouver les instrumentations qui vont bien, à essayer de sublimer ces voix-là. J’ai toujours besoin d’avoir une voix féminine dans mes morceaux. J’essaie d’être présent en studio le plus régulièrement possible et de créer beaucoup de morceaux, que je réécoute parfois des mois plus tard. Cela me donne ensuite beaucoup de très longues musiques et beaucoup d’instrumentaux, et c’est ainsi à l’infini. Mais en tout cas, c’est au moment où la voix arrive que l’étincelle se passe et que le morceau prend son sens. L’instrumental, qui était une boucle parmi tant d’autres, devient alors une chanson à part entière avec son caractère, son ambiance et son identité. 

 

 

Dans ces moments que tu passes seul en studio, de quelle manière t’arrive l’inspiration ? Tu l’as souvent qualifiée de mystérieuse…
Je vais te dire quelque chose dont je me suis rendu compte il y a peu. Je pensais jusqu’à maintenant que le seul moyen d’être inspiré était de voyager. De partir et de découvrir d’autres pays, d’autres personnes, les cultures, les gastronomies, de s’enrichir de toutes ces expériences… Sauf que pour mon dernier album, on a fait beaucoup de dates à l’étranger, entre Jakarta, la Corée du Sud, la Chine, Istanbul, beaucoup de dates en Europe aussi. Et à chaque fois que je revenais à Marseille, je retrouvais ce côté un peu apaisant, cocon, entre la mer, le soleil et cette lumière tellement magnifique. Je me suis alors dit que Marseille pouvait être aussi inspirant que de partir en road-trip seul aux Etats-Unis ! Après, en terme d’inspiration je me sers aussi de la musique que j’écoute, cela me donne souvent envie de m’y mettre à mon tour. Donc tout ça c’est une somme de détails et d’évènements qui te touchent plus ou moins et qui font qu’au final, cela se transforme en musique. Dans un certain sens, il n’y a rien de certain ni de mathématique car pour reprendre l’exemple des voyages, tu peux aussi en faire certains où à tout moment, il risque de ne rien se passer (rires). Donc pour finir, je dirais que je progresse mais que oui, cela reste toujours un petit mystère malgré tout.

Cherches-tu aussi une source d’inspiration dans le cinéma ? Ta musique est remplie d’images et suggère autant des ambiances que des choix esthétiques.
Durant la conception de mes deux précédents albums, j’avais presque l’impression de regarder plus de films que je n’écoutais de musique ! C’était un moment où j’ai passé beaucoup de temps, seul, à regarder énormément de choses. J’ai découvert des maîtres du cinéma que je connaissais trop peu comme John Cassavetes ou Carpenter pour les américains, puis Pialat, Claude Sautet pour les français. Ces cinéastes sont devenus mes références absolues et, en les découvrant tu prends des gifles. Je crois que j’ai regardé toute la filmographie de chacun d’entre-eux en moins d’une année ! Cela m’a donné l’impression à un moment que cela s’apparentait à de l’éducation, ce que tu retrouves aussi dans les livres. Cela t’apprend à vivre, à manger, à te tenir à table, à parler aux filles ou à acheter telle moto plutôt qu’une autre. Cela te fait grandir. C’est presque un rapport métaphysique que j’avais à ce cinéma-là. Et quand je te parle aujourd’hui de Marseille et du fait que je sais apprécier ce que j’ai sous les yeux, des amis que j’ai ici, des couchers de soleil que l’on vit ensemble, tout prend sens et tout est finalement lié.

 

 

Puisque tu parles autant de Marseille, j’aimerais savoir ce qui te lie autant à ta ville, elle aussi, bien mystérieuse…
J’ai envie de citer un dicton que l’on entend souvent dans le Nord qui est que « tu pleures deux fois : quand tu arrives et quand tu repars ». Pour ma part, je te dirais que Marseille c’est l’inverse (rires). Je me souviens de moments où dès que je quittais la ville, j’étais content de m’en éloigner, et de retours où quand tu sors du métro du Vieux-Port pour rentrer chez toi, tu es quasiment dans l’eau et tu te sens tellement bien. Marseille, c’est d’abord une mentalité et des gens. Bien sûr qu’il y a une partie qu’il vaut mieux oublier, mais en voyageant beaucoup pour mes tournées, je me suis rendu compte que ça, c’est pareil dans toutes les villes. A Marseille je me concentre sur la mer que je vois du matin au soir, au fait d’aller au studio en scooter alors que je suis en centre-ville, d’aller prendre l’apéro avec mes amis dans le quartier du Vieux-Port : cela suffit à mon bonheur.

Marseille est traversée par bien des cultures et des sentiments, tout comme toi tu mélanges plusieurs styles de musique pour nous proposer la tienne.
Merci, parce que je passe beaucoup de temps en interview à essayer de le faire remarquer (rires). C’est un tout petit peu moins le cas aujourd’hui car via le streaming les nouvelles générations écoutent un peu de tout et n’importe quoi mais, ce que j’aime à Marseille c’est que tu peux aller de festival en festival écouter de la musique concrète ou du garage-punk, puis descendre sur le Vieux-Port voir les meilleurs DJ du monde, aller au festival Marsatac… Il y aussi ce côté très « Sud », avec les grosses voitures et les musiques à fond, pour « s’ambiancer » comme on dit ici. Je trouve ça agréable de vivre dans un ville comme celle-ci, où il y a du son et du mouvement dans l’air.

 

 

C’est un beau compliment pour la cité phocéenne, toi qui tient en admiration l’ambiance musicale new-yorkaise.
Evidemment, dans ce genre-là, New-York n’a pas d’équivalent. Là-bas, la musique est dans la rue : non pas la musique diffusée, mais la musique physique. Tu peux te retrouver en pleine rue avec un gars qui joue de la batterie comme un Dieu, puis plus loin un groupe qui reprend les Beatles comme personne… Je me rappelle avoir été dans le métro où un mec jouait, batterie-micro, avec à côté de lui une liste de morceaux que tu pouvais choisir. J’avais demandé Bob Marley et Marvin Gaye. C’était un régal. Plus tard dans la nuit, je me retrouve seul sur un quai où un autre musicien jouait de la trompette. On était tous les deux seuls, dans le métro, au milieu de la nuit embellie de musique et je trouve ça incroyable. Pour ce qui est de la musique diffusée, c’est aussi à New-York que tu constates le goût qu’ont les gens pour la musique : tu peux entendre dans un bar Dr Dre, dans un autre Stevie Wonder… Et c’est la même chose pour ce qui est de la musique dans les restaurants ou les magasins ! En France, il y a quand même pas mal d’endroits où tu te bouches les oreilles (rires).

Quel regard portes-tu sur ton évolution personnelle à travers tes précédents albums ?
Je sais qu’au plus j’ai avancé, au plus j’ai consacré mon existence à la musique. J’avais un seul but dans la vie et c’était celui-là. Sur mes quatre derniers albums et ces dix dernières années, j’ai évolué à la recherche d’une seule lumière au bout du tunnel, que je cherche toujours d’ailleurs ! Quand je fais de la musique, j’ai toujours l’impression d’être encore un enfant, et j’espère garder ça le plus longtemps possible. Donc je ne sais pas si il y a vraiment un évolution en tant qu’homme, mais je me sens en tout cas plus rangé, plus structuré, un peu moins chien fou qu’à une certaine époque.

Parce que tu savais depuis toujours que tu étais fais pour ça ?
Depuis tout petit déjà, avant mes quinze ans ! C’est quelque chose que j’essaie de toujours garder en tête quand je vis des coups de moins bien. Et quand mes amis me félicitent de n’avoir jamais rien lâché, je réponds que pour moi, c’aurait été inconcevable. Quand je te dis que je vais en studio tous les jours, c’est que je n’arrive pas à concevoir les choses autrement. C’est trop précieux de vivre de la musique et pour la musique. Lors des gros concerts que je peux faire, avec la pression que tu imagines, je me répète souvent que je suis là où je voulais être. Si je pouvais m’adresser au jeune Mathieu d’il y a 25 ans en arrière dans ces moments, je lui dirais ça, que je suis à ma place et qu’il faut y aller. C’est comme quand je te parle de mon quotidien dans le studio, qui s’apparente à une hygiène de vie : il s’y passe toujours quelque chose. Et ce qui est sûr aussi, c’est que si je n’y vais pas il ne se passera rien, donc je continue (rires).

Tu n’es pas le seul Francescoli célèbre à Marseille. Les supporters marseillais se souviennent d’un certain Enzo, grande gloire de l’OM des années Tapie. Tu penses que l’on trouvera joueur plus fantasque un jour ?
Ce sera difficile de faire mieux (rires) ! Et en même temps, Enzo nous a ramené le titre de Champion de France, mais pas d’Europe. Son match contre le Benfica est même un peu raté. Il ne nous a pas fait perdre, mais il a un peu été le chat noir et quel dommage, car c’était un joueur si fantastique. Tu sais, on parle de rachat de l’OM ces derniers temps et moi aussi, j’aimerais clairement avoir de grands joueurs de foot dans mon équipe. Parce que finir à chaque fois derrière Paris et se prendre 4-0 au Parc… ça va un temps (rires). La peur de la perte d’identité marseillaise, je la comprend, mais j’ai surtout envie que de nouveaux dirigeants sachent la jouer intelligemment : ce qui a fait la légende de l’OM, ce sont ses joueurs mais aussi et surtout l’ambiance de folie qu’il y a dans notre stade. Tu peux ramener l’argent que tu veux, ceux qui ne comprendront pas ça ne réussiront jamais à Marseille.

 

Propos recueillis par Jérémy Attali
Crédit photo : Vittorio Bettini
Le dernier album du Kid, Lovers, est disponible et la tournée relancée 

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