Lorenzo Eroticolor

Lorenzo Eroticolor, dandy affichiste

Percée fugace à travers les vapeurs d’essence du travail de Lorenzo Eroticolor, affichiste contrebandier à la nostalgie et l’irrévérence collées aux roues et au pinceau.

©Lorenzo Eroticolor

Son moteur est l’évasion, le temps d’une affiche, dans des récits palpitants de grandes virées, de machines incroyables qui filent dans la nuit, de femmes puissantes au volant d’engins rutilants, d’années lointaines et révolues qu’il ranime sur le papier. Lorenzo Eroticolor ne veut pas qu’on le dise artiste : il est un faussaire d’affiche qui réveille des personnages et des temps anciens, forgés dans ses légendes familiales et ses lectures – une « antenne-relai », dit-il, pour des messages surannés. En rupture assumée et revendiquée avec la modernité, ses œuvres sont une fuite vers un ailleurs aux allures rétro, qui tiennent place de manifeste davantage encore que d’esthétique. Une chance, son œil comme sa critique sont acerbes et travaillés, pour offrir un travail pictural au style racé que l’on retrouve depuis quelques semaines dans le numéro zéro de son magazine Aristocratic Motorcyclist. Rencontre entre deux échappées à deux roues.

Le passé comme ligne de départ

La passion pour les images et les moteurs remonte à plusieurs générations dans la famille de Lorenzo. Un grand-père peintre et un oncle typographe mêlent leurs histoires à celles d’une arrière-grand-mère pilote et d’un grand-oncle mécanicien. Ce sont les récits et les valeurs de ces « anciens » qu’il veut retracer dans ses affiches : «  Je cherche à recréer par l’affiche un monde terminé, à l’évoquer, le reproduire, le réinviter dans ce siècle qui m’insupporte. Réintroduire en douce les éclats de lumières du temps où nous domestiquions les machines, à nos risques et périls. » Semblant s’établir lui et son art dans un temps parallèle, ses affiches deviennent un refuge qu’il souhaite partager avec ceux qui, comme lui, ont la nostalgie vissée à la peau. La mode, la tendance, très peu pour ce motorcyclist désabusé : « J’évite les sujets à la mode, ce qui me permet de suivre ma ligne, mon chemin. Ce n’est pas difficile, il me suffit de rester dans mon petit univers. L’important pour moi c’est l’univers proposé, l’invitation au voyage. »

D’ailleurs, ne lui parlez pas de son « art » : ses œuvres nous y conduirait mais Lorenzo ne souhaite pas qu’on le qualifie d’artiste – un mot dénué de sens selon lui à l’ère de la « marchandisation des images ». A cela, il ajoute : « Je ne suis ni un théoricien, ni un artiste : je fabrique des affiches, dans un monde qui n’a plus de sens, pour proposer une fenêtre ouverte sur un autre monde. C’est une invitation qui ne s’adresse pas à la multitude mais à ceux qui, encore, se laissent le temps de l’errance, de l’humain, de la pause. » Tentative isolée mais peut-être pas perdue de sauvegarder le langage esthétique d’une époque révolue, qu’il fixe obstinément dans le rétroviseur puis, dans une répétition obsessionnelle, sur le papier Arches.

Faussaire d’images et vrai narrateur

La force du travail de Lorenzo réside dans la puissance narrative de l’image. Dans ses faux posters de cinéma et couvertures de magazines imaginaires, ce féru d’art et de littérature nous livre un exercice qui va au-delà du pictural, où la vitesse se fait sentir, où les visages sont expressifs et les lumières et couleurs saisissantes. « Le dessin seul, n’a plus grand intérêt pour moi, mon seul but est que l’affiche, l’assemblage des mots et des lignes atteigne sa fonction, c’est-à-dire l’interpellation du regard, l’invitation. Raconter des histoires en une image nécessite une grande concentration. La technique elle-même n’est pas vraiment le nerf de la guerre. C’est plutôt la capacité d’analyse, de synthèse. »

Le message est simple, c’est la puissance et la liberté d’un autre temps qu’il souhaite insuffler à notre époque, qu’il juge molle et dénuée d’intérêt. Sûrement une des raisons pour lesquelles il a besoin de s’évader régulièrement dans le dessin ou sur les chemins, et d’une liberté d’action totale pour créer : « Moins vous me laissez carte blanche, plus ce sera médiocre ! » Car en effet, c’est à sa vision et son expression propre que Lorenzo tient avant tout : « On veut me transformer en illustrateur, ce que je ne suis pas : je ne sais pas illustrer l’idée d’un autre. Dans mes affiches, je sais saisir le message qu’on veut faire passer, mais il faut me laisser le langage libre. »

Des machines, des hommes et des traditions

Bien déterminé à faire de ses affiches un manifeste des valeurs, symboles et façons de faire qu’il affectionne, Lorenzo s’inscrit de la création à l’impression dans des méthodes de travail à l’ancienne. Grâce à la lithographie, technique d’impression créée au XIXe siècle et particulière au support de l’affiche, chaque œuvre revêt encore un peu plus de puissance narrative et nostalgique : « Je rêvais de pouvoir utiliser ce procédé plus subtil que la sérigraphie, plus noble que la quadrichromie classique. Nicolas Draeger [lithographe et imprimeur d’art, ndlr] est venu à moi, nous avons causé papier, encre, motocyclettes et toutes ces choses que nous affectionnons et nous avons immédiatement commencé l’aventure. Qui dit art de l’affiche dit lithographie, simplement. Nicolas est l’héritier d’une longue tradition d’imprimeur d’Art. Nous ne pouvions que nous entendre et travailler ensemble. »

L’imprimeur et l’affichiste se retrouvent alors tous deux dans des façons de travailler aussi désuètes qu’élégantes et se lient autour d’un autre genre de machine, sans roue celle-ci, de laquelle sortent chacune des affiches du dandy Eroticolor. Et parce que l’amitié et la passion sont souvent la matrice de grandes idées, c’est avec un tout nouveau projet que les deux compagnons d’art et d’aventures se retrouvent cet été…

L’Aristocratic Motorcyclist Magazine, arrivée imminente

Lorenzo, dessinateur mais aussi rédacteur à ses heures, est passé par plusieurs rédactions magazine – « Certains d’entre eux de bons compagnons de route, d’autres moins ! », nous confie-t-il. Serait-ce ce qui le pousse à créer son propre magazine aujourd’hui ? « J’ai toujours fait des magazines, des fanzines, quand j’étais enfant, puis adolescent… Des objets hybrides. Lier les mots, le texte et les images est une activité fascinante pour moi. Ayant enfin stoppé mes collaborations mensuelles fatigantes avec les magazines « normaux », j’avais envie de quelque chose de plus unique, exclusif, précieux et sans contrainte de ton et de mélange. » L’occasion pour lui de « rompre la solitude du dessinateur » mais aussi de partager le travail de coups de cœur qui valent le détour, sans raccourci. Il cite Alberto Garcia Alix et Chas Ray Krider entre autres, qui figurent parmi les pages de ce numéro zéro, pensé comme un manifeste pour la liberté, notamment à travers le symbole favori de Lorenzo, le deux roues : « Le paysage du monde de la motocyclette est un des puissants symboles de notre liberté. Un des derniers. J’ai besoin de cette liberté, d’en témoigner et je la partage, imprimée sur ce papier superbe. » Le premier numéro d’Aristocratic Motorcyclist Magazine est déjà en pré-vente et sa sortie de la presse lithographique prévue pour le 10 septembre prochain.

Propos recueillis par Maud Darbois

Pour découvrir le travail de Lorenzo c’est ici et sur Instagram.

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