Lolita Roger (en)chante Renaud
En quarante dessins originaux et autant de textes, Lolita Roger retrace dans son dernier livre « Chetron d’amour » la jolie légende de Renaud.
Un trait léger, des couleurs peaufinées à l’aquarelle : la dessinatrice nous invite à revivre le parcours musical et la légende éternelle d’un artiste connu et reconnu. Bouleversée très jeune par l’œuvre d’un chanteur qui a marqué l’histoire de la musique autant qu’une époque, Lolita assume son trait sincère et artistiquement naïf, qui ne fait rien d’autre que coller à la manière dont elle voit les artistes. Entretien avec une trentenaire fraîchement installée à Paris, qui compte bien récidiver au plus vite, toujours à coups de crayons.
Tes livres sont des déclarations d’amour dessinées et rendent hommage à des musiciens qui, on imagine, ont fait partie de ton quotidien.
Je baignais dans une ambiance assez rock de par mes parents. Je me souviens d’Elvis Presley ou Johnny Hallyday que l’on écoutait à la maison. Plus tard, au collège ou au lycée, je sais que je ne me sens pas totalement à ma place avec les jeunes de mon âge. J’avais d’autres goûts musicaux : la valse musette, le jazz ou la musique des années 60, avec ce que l’on appelle alors les Yéyés. Suite à un problème de santé à mes 15 ans, je me retrouve déscolarisée et je découvre alors Renaud. Je l’avais entendu brièvement un tout petit peu avant, grâce à une prof de musique qui nous avait fait travailler sur It is not because you are et Laisse Béton. Son franglais m’a épatée, cette histoire d’amour un peu foutue mais géniale… Dans la foulée sort son album « Boucan d’Enfer » : j’ai alors l’impression que quelqu’un parle mon langage, ou plutôt comprend le langage non-parlé. Renaud est humaniste autant qu’abîmé; il est en opposition perpétuelle avec la pensée dominante de l’époque. J’entends ses critiques sur le système scolaire, j’adhère à ses idées quand il prend partie pour les animaux, l’écologie… Son côté engagé me parle immédiatement.
Cette découverte semble en amener d’autres, comme celles de Brassens ou Gainsbourg ?
Grâce à un album de reprise de Renaud, je découvre ensuite Georges Brassens. Un ex petit-ami m’avait offert l’album puis Gainsbourg arrive en effet dans la foulée car, même si je le connaissais déjà, j’approfondis vraiment son œuvre à ce moment-là. A cette époque je dessine déjà, mais pas dans l’idée d’en faire quelque chose plus tard ! Je gribouillais chaque jour, en copiant un petit peu le trait que l’on retrouve dans Titeuf ou Le Petit Spirou. J’aimais la foule de détails un peu planqués que l’on retrouve en fouillant sur ces planches. Il est normal de copier un peu, quand on se cherche. Mais je ne suis pas consciente que le dessin va prendre une si grande place dans ma vie…
Si s’inspirer des autres à ses débuts reste plus ou moins logique, ta patte arrive réellement quand tu te lances dans tes dessins sur Gainsbourg.
En écoutant ses chansons, je vois des images, des couleurs, c’est ensuite de l’interprétation de ma part. Concernant Renaud et Gainsbourg, l’amour que je leur porte fait que j’ai envie d’en faire plusieurs dessins. Pour d’autres, ce ne sera qu’un seul, pour une seule chanson.
On découvre alors un trait fin et léger, nous ramenant parfois à la tendresse de notre enfance.
Il y a peut-être un côté enfantin dans ces dessins mais, c’est aussi et surtout une non-prise de risque. Je n’ai pas envie de vieillir les artistes, peut-être par peur de ne pas leur plaire (rires). Je sais que mon trait est souvent pris comme candide et naïf, et si c’est dit dans le bon sens du terme cela me va. Ce qui est sûr c’est que je les dessine dans leurs plus belles époques : Renaud dans les années 70, Gainsbourg jusque début 80… Dessiner sur ces artistes et ces époques-là était un rêve de petite fille.
Concernant tes livres sur Gainsbourg et Renaud, il semblerait qu’ils naissent de deux façon différentes ?
Pour Serge Gainsbourg, je ne prévoyais rien et ce sont des amis qui me demandent de continuer en voyant certains de mes dessins. Je rencontre ensuite Aude Turpault, qui accepte de faire ma préface et, c’est grâce à ce livre que je peux exposer à Paris. Concernant Renaud, j’ai commencé à dessiner en 2015 et, l’histoire a connu quelques rebondissements, dans le choix de l’éditeur notamment. Il y a plusieurs moments où je me dis que cela ne va jamais se faire, car ce que l’on me dit change tout le temps. Mais j’ai appris, sur les gens, sur le métier, j’ai rencontré des difficultés notamment par rapport aux droits musicaux que me demandaient Warner… L’important était que le livre sorte, et je suis ravie que ce soit le cas.
Dans quelles conditions es-tu le plus à l’aise pour dessiner ?
Je peux dessiner un peu partout. Où que je sois, je sais entrer dans une bulle. Je fais simplement attention aux ondes qui m’entourent. Un dessin peut partir d’un simple mot-valise qui a retenu mon attention. Par moment ce sera une ambiance, d’autres fois il s’agira de couleurs, que j’essaie de retranscrire. Il est également possible que j’aie déjà un dessin en tête mais que je n’arrive pas à le faire ! Bien souvent, cela me demande alors plus de travail. Cela peut-être frustrant, car l’émotion est profondément là mais, cela ne sort pas. J’y reviens donc plus tard, je laisse s’écouler du temps.
La sincérité de tes dessins en dit-elle beaucoup sur la personne que tu es ?
Mes dessins me ressemblent. On parle là de douceur, de tendresse et d’amour. C’est ma nature et c’est une facette de ma personnalité. Je n’arrive pas encore à sortir de colère, de noirceur. Un artiste le faisait tellement bien, dans sa discipline qui est la musique, c’est Mano Solo. J’en suis pour le moment incapable. C’est pour ça que dans le futur j’aimerais raconter des histoires plus personnelles… mais avant, j’ai envie de dessiner Brassens et Boris Vian !
Qui dit tendresse sous-entend parfois nostalgie, surtout quand on retrace l’oeuvre de Renaud. Essaies-tu à travers ton travail de faire revivre des époques révolues ?
J’essaie quelque part de sauvegarder des époques et leurs personnalités, car il est important de transmettre leurs mémoires et parce que j’espère que ces artistes en inspireront d’autres. J’ai l’impression d’être née en retard, à la bourre (rires). Je suis nostalgique de ne pas avoir vécue plus tôt. J’essaie donc de ne garder que le joli autant que mes valeurs, dans cette époque violente où tout le monde se fait peur, où tout divise. J’essaie de garder une légèreté dans mes dessins, à l’inverse d’une peur qui nous taraude tous aujourd’hui de différentes manières. Je crois qu’un dessin peut faire passer un message. Si je fais rêver et sourire les gens j’en suis heureuse. Parce qu’on en a grandement besoin.
Sais-tu si Renaud a eu ton livre entre les mains ?
Renaud a sans doute eu le livre, mais je n’attends pas forcément de reconnaissance particulière. J’ai simplement envie qu’il prenne ma déclaration d’amour dessinée en tant que telle. Et surtout, que cela lui fasse plaisir !
Propos recueillis par Jérémy Attali
Chetron d’amour, le dernier livre de Lolita Roger est disponible depuis le 12 mars 2020
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